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Les Acheteurs, des Salopards?

Une démarche à courte vue

Le numéro 952 de l’hebdomadaire « Marianne » (17/7/2015) dresse un portrait peu flatteur de la profession d’acheteur dans la grande distribution, intitulé « Les Confessions d’un Salopard ». Un acheteur de plus de 30 ans d’expérience raconte comment il a pressuré les petits fournisseurs, les PME, les producteurs de fruits à toujours plus de concessions, avec des pressions extrêmes allant jusqu’à l’humiliation et l’injure, par des moyens légaux comme occultes. Cet article a reçu un éclairage supplémentaire en faisant l’ouverture de la revue de presse de France Inter.

A Grenoble, au sein de l’IRIMA, nous avons toujours prôné une attitude aux antipodes de ce qui est décrit dans l’article. Les situations présentées, nous en avons entendu parler dans nos rencontres professionnelles, et pas seulement dans la « grande distribution ». Chaque fois, nous prenons le contrepied et présentons une gouvernance des achats basée sur des stratégies gagnantes à long terme pour le fournisseur et son client. L’analyse de nombreux exemples issus de la recherche académique ou du travail de nos étudiants nous montre que les entreprises qui ont pu monter en maturité dans le domaine des achats, qui développent en profondeur leur relation avec leurs fournisseurs, sont plus performantes.

Alors pourquoi ces comportements qui apparaissent aux yeux du lecteur comme non éthiques, voir aberrants, puisque c’est l’écosystème dans lequel vivent les grandes enseigne de distribution qui se détruit petit à petit ? Cette approche tue leurs petits fournisseurs, et dégrade la santé économique de leurs clients. En continuant, ils aboutiront à une situation dans laquelle il ne reste plus que des oligopoles de grands groupes internationaux qui pourront alors « prendre leur revanche ». On voit cela dans l’industrie automobile ou le nombre de fournisseurs de composants clés et de technologies d’avenir est de plus en plus réduit. Ces acheteurs, et les dirigeants qui leur fixent des objectifs sont adeptes du « quarterly capitalism » toujours à la recherche d’un trophée à court terme, valorisé beaucoup plus fort qu’un avantage concurrentiel. Ils ne veulent pas différencier « création de valeur », « transfert de valeur » et « capture de valeur ». Et comme tous utilisent les mêmes approches, le même effet levier, aucun ne peut se différencier et se distancer de ses concurrents. Les consommateurs finaux, tout aussi intéressés par les gains personnels immédiats, et peu fidèles à une enseigne, obtiennent des prix à la baisse.

Quelles solutions proposer?

Faut-il attendre qu’un acteur de la distribution se profile sur la qualité, devienne le « BMW » ou le « Toyota » du secteur ? Aider les PME en allégeant leurs coûts ne serait qu’une opportunité pour les acheteurs de la grande distribution de capturer quelques centimes de réduction des prix. Gérer les prix de manière centralisée par fait gouvernemental ? Peu compatible avec nos économies ouvertes et contraires aux règles qui régissent les échanges, sans mentionner la difficulté d’établir un juste prix. L’article mentionne « plus de transparence » sur la chaine de valeur et le prix payé. Comment le faire sans créer un monstre de complexité administrative et sans mettre en place un système qui ne serait qu’une façade où les chiffres présentés n’auraient que peu de rapport avec la réalité du terrain car la créativité contractuelle permettrait surement de reprendre par derrière ce qu'on a concédé par devant? Le seul indicateur pertinent serait de rajouter, comme pour l’écolabel, un éconolabel « Acheté chez un producteur qui a des finances saines ». Après tout, ce ne serait que la prolongation du concept d'achats "Equitables" et "Durables".

Voici de nombreux sujets de réflexion pour nos étudiants, nos chercheurs, pour identifier les bons outils et comprendre les enjeux, la difficulté d’un changement de mentalité pour aller du « moins cher tout de suite » au « mieux pour longtemps ». A l'IRIMA, nous travaillons déjà avec des distributeurs qui essayent de mettre en place des systèmes plus vertueux. Tous ne sont en effet pas à mettre dans le même panier. Nous en reparlerons.